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11 juin 2006

Les oiseaux

LES OISEAUX



Wilfried ne pouvait s’empêcher de revenir sur les multiples changements survenus en observant Anita. La mutation continuait à s’opérer, imperceptiblement, jour après jour, semaine après semaine. Ils ne voulaient même plus en parler, préférant vivre au jour le jour, dégustant les étoiles du ciel austral, admirant le ballet nocturne des tortues ayant majestueusement survécu, énumérant les espèces d’oiseaux chaque jour plus nombreux, s’émerveillant devant la lente croissance des plantes et arbrisseaux qu’ils avaient replantés à proximité de leur case. Tout en la regardant tandis que l’embarcation approchait de la grève, il mesurait toute l’ampleur du schisme ayant fragmenté leur vie...
Wilfried hâla avec difficulté la barque sur le rivage tandis qu’ Anita se dirigeait vers la case, tenant entre ses dents le panier rempli de deux carangues, un beau mérou, et un vivaneau. Il ne fallait pas qu’ils traînent, la nuit tropicale s’abattant rapidement une fois le soleil ayant disparu dans l’abîme lointain de l’océan. Déjà il dardait ses rayons sur l’interface composée des nimbes célestes et de l’immensité liquide, générant une palette de couleurs changeantes. Après le repas pris autour du foyer ayant permis la cuisson des fruits de la pêche, Wilfried se leva pour son habituelle visite du soir à Gros-Mac. Rajustant son chapeau tout percé qu’il ne quittait jamais, il contourna le vieil autocar encore bariolé de multiples couleurs clinquantes malgré la rouille qui le gagnait, pour prendre la direction de la grotte. La grotte dans laquelle ils avaient trouvé refuge au début ne leur servait plus maintenant que de réserve. Là étaient entreposés les divers matériels de récupération glanés sur l’île au fil des explorations, le bois pour la cuisson et le chauffage, ainsi que les quelques vivres issus de leurs cultures. Ils s’étaient confectionné un abri plus confortable  à l’abri du flanc rocheux, abri qui s’était transformé en quelques mois en une case confortable et agréable. Ils y avaient vécu dans des conditions de rêve, si ce n’est que l’absence de vie sociale leur pesait de plus en plus. Si encore ils avaient pu se reporter sur les perspectives d’avenir. C’est bien ce qu’ils avaient fait au début, certes. Mais comment investir longtemps sur l’avenir alors que celui-ci ne pouvait même pas s’installer au-delà de leur propre existence ? Ils allaient continuer à survivre, puis disparaître, ne laissant pas de relève. Apparemment, la fonction de reproduction de l’espèce humaine avait elle aussi été perdue, et ils n’auraient pas le loisir de se projeter dans une descendance. Depuis ce jour déjà lointain où il avait cru discerner quelque chose sur l’écran, il n’était plus vraiment le même. Chaque soir il y retournait, mais rien ne se produisait. Il ne pouvait se résoudre à croire qu’il avait été victime d’un mirage, et quelque chose se reproduirait un jour, il en était sûr. Ce minime espoir le faisait avancer. Il restait esclave du seul résidu technologique hérité de la société disparue, mais les arguments d’Anita ne pouvaient désormais le faire abandonner son rituel quotidien. Des cris perçants l’arrêtèrent. Levant les yeux vers le ciel au sud, il aperçut le couple de paille-en-queue qui ne manquait jamais de se manifester à son approche. Et, comme chaque soir, les paille-en-queue lançaient leurs cris désapprobateurs. Un frisson parcourut les poils de son corps....
“Le réseau, avait-il objectivé au début, le réseau doit bien encore exister quelque part, et c’est notre meilleur moyen de rentrer de nouveau en liaison avec quelque survivant”. Quand il avait pu mettre en route la machine qu’il avait trouvé et après avoir réglé les divers problèmes pratiques, notamment d’alimentation électrique et surtout de connexion à un ancien réseau de communication, Anita s’était rebellée contre un tel gaspillage d’énergie inutile. Pourquoi vouloir compter sur cette technique ? Et de plus une de ces technologies qui avaient contribué, elle en était sûre, à la fin du monde dans lequel ils avaient grandi... Elle l’avait laissé faire, attendant patiemment qu’il s’en rende compte par lui-même.
Les mois avaient passé. Ils avaient continué d’édifier leur installation dans ce nouveau monde d’après, assurant leur subsistance future par le recensement des plantes comestibles de l’île cultivables et des animaux présents. Les réserves de vivre du début, bien qu’énormes n’étaient pas infinies. La phase obligatoire de dépression, due à cet état nouveau d’isolement, avait été accentuée chez Wilfried par l’absence de tout signe sur son écran malgré les heures passées à dévider les ressources de connectibilité. Puis il s’était résigné, avait abandonné toute tentative de rentrer dans un réseau. La grotte à Gros-Mac, comme il l’appelait, s’était habituée finalement à ne plus le voir venir jusqu’à ce jour où une subite envie non justifiée l’avait fait revenir vers l’écran. Wilfried avait exercé une pression brève sur le bouton de mise en marche, avait enchaîné les gestes successifs nécessaires qu’il avait tant de fois exécuté de façon machinale, mais qui maintenant lui demandaient des contorsions et des manipulations laborieuses. Puis il s’était mis en position d’attente. Curieusement, il n’avait pas attendu longtemps. A peine son regard s’était-il levé du clavier pour se porter sur l’écran où le cadre blanc soulignait le noir de l’expectative, que quelque chose, enfin, avait bougé. Il ne comprenait pas ce que cela pouvait être. Une simple lueur qui s’était rapidement promenée de gauche à droite, effaçant le reflet de cet appendice tortueux qu’était devenu son nez. Des figures géométriques s’étaient esquissées en une espèce de ballet harmonieux fugace. Pas de mot, pas d’image, rien d’évocateur. Un simple point lumineux balayant, à la manière du pinceau de quelque artiste peu scrupuleux de ceux qui interpréteront son oeuvre, la beauté et les mystères du questionnement sur la vie. Un faisceau lumineux résiduel sans signification et qui pourtant retournait l’estomac. Maintenant il en était sûr, ceci devait avoir un sens. Ce sens caché avait déjà frappé son inconscient, Wilfried le ressentait vaguement à l’allure du frémissement induit dans chacun des interstices de son être. Sa patte restait suspendue, là, face à l’écran. Il restait comme médusé. Il avait envie de se fondre dans les méandres des circuits électroniques, de s’immiscer parmi les particules de transmission baudienne, de se retrouver de l’autre côté, dans le no man’s land de ce qui avait ainsi caressé furtivement l’écran, son écran. Puis plus rien. Fébrilement, il avait essayé de rentrer en communication avec cet être potentiel du bout de son ordinateur. En vain, plus rien. Il s’était finalement endormi, épuisé après l’attente...
 
Le spécialiste interculturel de communication synthétique de troisième ordre virtuel montrait à son supérieur les équations permettant de déterminer la position du signal émis. Sa main se tendit brusquement vers l’écran. Ils se regardèrent, incrédules. Existait-il encore vraiment des êtres vivants sur ce monde ? “Voyons, n’était ce pas là que l’on avait connu une civilisation ayant à peine dépassé le stade primaire de développement, mais porteuse de tant de tares de base inhérentes à la nature  même de l’espèce qui avait pris le dessus sur cette planète, qu’elle n’avait pu qu’étouffer dans l’oeuf, incapable de surmonter ses contradictions ?” - “Oui, c’est bien ça” - rétorqua l’expert en communication fouillant dans ses multiples fichiers de résolution galactico-culturologiques - “et ceci avait d’ailleurs été prédit par nos socio-spécialistes du développement ethno-éthologique, avec une probabilité de plus de 95%, éliminant d’emblée toute possibilité d’intervention efficace qui ne comporte trop de dangers pour la Confédération des Unités Responsables du Savoir en Évolution Post-secondaire”.
 
Anita se secoua. Réveil après un court sommeil. Pourquoi diable la réveillait-il? Elle se redressa sur ses quatre membres endoloris et chercha les yeux de son compagnon qui la regardait avec insistance. Elle y vit une excitation inhabituelle et surprenante. Elle le suivit, bien qu’elle eut de plus en plus de mal à mouvoir ce corps qu’elle ne reconnaissait même plus. La nuit était exceptionnellement claire, offrant un plafond naturel d’une beauté inégalable. Wilfried ne s’arrêta pas. Il se dirigeait vers la grotte à Gros Mac. Elle hésita, sous l’effet d’une prémonition qu’elle jugea idiote, puis continua. Elle fut contrainte de presser le pas pour le rattraper. Réfléchir ou résister était maintenant au dessus de ses forces. Surtout qu’ils ne pouvaient même plus communiquer autrement que par des sons difformes et gutturaux sortis du fond des âges, ou par les gestes, si les mouvements laborieux de leurs résidus de membres pouvaient toutefois être ainsi dénommés. Que cherchait-il encore après tant d’années ce vieux jeune fou ? N’avait-il pas encore compris qu’ils étaient les deux seuls survivants en ce monde banni. Comment pouvait-il en être autrement depuis maintenant treize ans? Anita tentait de déchiffrer les messages et les réponses qui défilaient sur l’écran. Indubitable. Une civilisation avait donc probablement survécu quelque part. Mais, à quoi bon, maintenant ? Elle aurait voulu arrêter la patte de Wilfried se traînant sur le clavier, trouvant les lettres ou corrigeant les fautes de frappe fréquentes dues à sa maladresse. Et dire que cette créature avait été jeune chercheur en informatique de communication. Elle aurait voulu arrêter le temps. Elle savait maintenant qu’ils n’allaient pas survivre à un nouveau contact avec la civilisation humaine. D’ailleurs, de quelle civilisation s’agissait-il ? Wilfried ne l’écoutait pas, absorbé dans les circuits de communication. Il grognait, ânonnant des sons ressemblant à des jappements ou des caquètements... Quelque part,  en Amérique,... ou en Europe... Regarde... Ils demandent combien nous sommes... Si nous avons muté... Zut, j’ai du mal à comprendre leur charabia... Il y a au moins trois langues différentes... On dirait du petit nègre...
 
...Le responsable de la section 1109 d’exploration multi-faisceau inter-galactique réfléchit puis demanda que l’on transmette ces nouvelles données à la sous-division d’étude des mondes sous surveillance disparus en cours d’évolution, bien qu’il ne se fasse pas beaucoup d’illusions concernant celui-ci. Ce monde planétaire situé dans le système solaire avait en effet été considéré comme entièrement débarrassé de toute trace de vie après les diverses catastrophes écopsychologiques qui s’étaient abattues sur lui...


La mer scintillait sous l’effet du soleil déclinant. Les deux oiseaux décrivirent un arc de cercle, longeant le rivage de l’île. A cet endroit existait des restes de tôle amoncelées témoins d’une ancienne habitation qui s’était effondrée. Un peu plus loin, on pouvait distinguer un vieil amas de ferrailles qui avait dû faire office d’engin roulant il y a très longtemps. Ils se posèrent sur le rocher le plus proche, scrutant les environs à la recherche de la moindre menace. Puis ils s’approchèrent de l’anfractuosité creusée dans le roc près de l’ancien autocar. Ils se dandinaient curieusement, l’un deux portant un couvre-chef tout percé de trous, ne semblant tenir que grâce à deux appendices latérales ressemblant vaguement à des oreilles. L’autre le suivait, tenant dans son bec un panier rempli de poissons. Sous l’effet des caquètements gutturaux à la melopée curieuse émis par le premier des deux volatiles, probablement le mâle, une flopée de jeunes duveteux sortirent leurs têtes de l’anfractuosité, s’égosillant jusqu’à ce leurs parents satisfassent leurs appétit féroces. Ils s’arrachèrent les restes de poisson autour de l’écran...

Commentaires

Bravo. Vision d'avenir et morale à en tirer. Un peu d'espoir, quand même ?

Écrit par : Rony | 11 juin 2006

on rentre tres vite dans l'histoire, efficace, bravo.

bonne journée

Écrit par : noelle | 12 juin 2006

Merci d'être passé sur mon blog.
Beau texte, merci !

Écrit par : delval daniel | 22 décembre 2011

Golden globe 2012

Guten Abend

Wir stimmen wieder absolut nicht überein mit der diesjährigen Golden globe awards Entscheidung.

Bitte besucht unsere kleine Umfrage

micropolll.com/e/gkunkm

Kiss kann doch wirklich nicht besser sein als Clooney

Diese Umfrage wird unterstützt von Golden Globe 2012 sponsor Allcars LTD
Beste Lebensversicherung


tortenfisch95 36 Nächstes Jahr 2013 muss wieder unbedingt um einiges besser werden.

Écrit par : facsftt | 02 juillet 2012

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