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10 septembre 2006

Scène de vie

Nota Bene : bien que cette note (épisode) ait été publié(e) en septembre 2006, comme 1er texte pour "Amilcar", ce n'est pas le vrai début, ainsi en a décidé l'auteur (!). Le récit commence à Terres du Passé (cf ci dessous), et le passage présent Scène de vie, que j'aime particulièrement, s'articule en fait entre Mme Arside et L'incendie (cf liens ci dessous)


La pénombre s’immisçait dans l'intimité des carcasses. Le bruit du sac et du ressac contre les galets trahissait la masse liquide de l'océan derrière l'immense terrain vague. Sur ce fond sonore rythmé se superposait la cacophonie ambiante du début de soirée. Les chiens alternaient leurs jappements avec le ronflement des moteurs usés et des échappements troués, avec les voix d’hommes et de femmes, avec les cris d’enfants déguenillés. Une sirène parfois se mettait à déchirer l’atmosphère et les estomacs. Les squelettes métalliques dessinaient leurs silhouettes en ombre chinoise sur le ciel gris noir lézardé par les dernières fusées orangées du soleil couchant. Telle armature prenait l’aspect terrifiant d’un monstre du fond des âges. Monstre qui observait, incrédule, l’amas de constructions qui s’étendaient vers l’est et vers les hauteurs, semblant fuir l’océan menaçant d’où pointaient encore quelques signes d’humanité engloutie. Telle autre offrait son châssis à l’air étouffant, semblant vouloir se relever pour une nouvelle épopée urbaine.     Entre les ossatures de ferraille, peu de signes de vie végétale. Les rares herbes étaient à peine discernables. Pas un arbre, pas un arbuste, un buisson, pas même une quelconque plante grimpante le long d’une de ces carcasses abandonnées. Vision d’apocalypse. Si quelques créatures se disputaient encore le terrain dans ce cimetière-vestige,  il ne pouvait s’agir que de rats ayant établi leur résidence dans cet endroit si propice à leur multiplication, ou d’hommes venant récolter là quelque pièce indispensable au rafistolage de leurs vieux engins. Amilcar contemplait cette non-nature, ce non-sens, reflet de la ville qui n’en conservait que le nom. Tout se résumait-il désormais à des reliquats, signes de temps révolus, à l’image de ces squelettes offrant leur immonde silhouette en témoignage du passé? Il  se dirigeait vers l’extrémité du cimetière de voitures. Quelques embarcations filaient sur la surface liquide, s’empressant de ramener leurs occupants avant la tombée de la nuit tropicale. La voie longeait un ancien bâtiment gris aux multiples trous de fenêtres regardant l’océan tels de multiples yeux nostalgiques et accusateurs. Une inscription soudain l’attira, lisible grâce à la conjonction d’un dernier rayon du soleil couchant et de sa position en enfilade à travers une ouverture du bâtiment. Le mot  le toucha brutalement, magique, enchanteur, d’un charme instantané et irrésistible, évoquant des trésors insoupçonnés de souvenirs, des mines de phrases, de situations, de sentiments. Puis le mot avait disparu, indiscernable dans le fond d’un gris hétérogène virant maintenant au noir. Invisible mais puissant. Toujours aussi puissant. Amilcar s’avança vers le vieux batiment, se risqua à franchir un seuil et des décombres de toiture effondrée, puis un autre, écartant la végétation folle qui prenait possession des lieux. Son esprit résonnait, répercutait par delà les années passées des sensations qui s'emparaient progressivement de tout son être. Au fur et à mesure de son avancement, l’endroit désert se peuplait d’une foule dont le brouhaha retentissait dans l’imagination d’Amilcar, l’enivrant et le portant tout entier dans d’autres lieux et d’autres temps. Puis, traversant, fier, l’immense salle dans laquelle il venait de s’introduire, il atteignit l’estrade encore vaillante dominant le public imaginaire et se hissa sur la scène. Surmontant le trac, il se lança dans une tirade accompagnée de mouvements amples et démonstratifs complétant le verbe de l’acteur. Il donnait l’illusion complète de réel du personnage pourtant créé de toute pièce pour faire rire une assistance friande de dithyrambes sarcastiques. Sa petite taille ajoutait à la persuasion de l’argumentation, qui de farfelue pouvait devenir juste et frappant aux points sensibles, en offrant à la dérision le sérieux de situations intolérables ou scandaleuses. De nouveau, il remplissait le rôle d'un messager dans une société à la recherche d’elle même, face à un public se rendant compte de son propre jeu de rôle face à une démonstration si convaincante. La scène rendait à Amilcar son personnage de bouffon philosophe. Il continua ainsi un long temps, refaisant le monde et ses aberrations, devisant la bêtise de l’humanité, raillant les derniers avortons du progrès, foulant les pseudo-vertiges de la technique, se gaussant de la vitesse des véhicules dernier cri vantés par les publicistes, pourfendant à gorge déployée les soi-disant merveilleuses possibilités de communication interactive offertes à l’homme du XXIème siècle débutant, ridiculisant le concept d’époque merveilleuse qu’il n’était pourtant pas question de remettre en cause dans le vrai théâtre de la vie... Il s’écroula enfin. La salle était vide. Une énorme sensation de solitude l'envahit. Les trous dans le toit laissaient entrevoir des lambeaux de l’immensité étoilée. L’estrade exhalait une odeur de moisissure âpre. Le silence faisait entendre sa revanche sourde. Le choc était profond. Le passé contre le présent, l’incrédulité face à l’évolution de la chose humaine. La ville elle-même était méconnaissable. Surpeuplée et famélique. Alignant des taudis et des abris précaires dans les anciens jardins et parcs. Exhibant avec honte ou fierté des demeures embétonnées tels des coffres-forts surveillés par des miradors perchés aux quatre coins...

Pourtant, Amilcar voulait garder son optimisme. Il trouverait dans tout cela de quoi nourrir quelque espoir, il trouverait...

 

Lire la suite ---> L'incendie

Episode précedent ----> Mme Arside


Lire le début...

Commentaires

un théatre a été aménagé dans les ruines de l'usine de Pierrefonds. dis le à Amilcar! 'd'un monde à l'autre' -emprunt à Débla-, la fiction rejoint la réalité. j'écoute Alain Peters, 'manger pour le kér'...il me fait douceur cet Amilcar! bonne journée Xavier.

Écrit par : kintana | 10 septembre 2006

J'aime tes histoires !
La réalité se mêle à la fiction de façon naturelle et remarquable , parce que tu sais raconter !

Écrit par : khate | 11 septembre 2006

Voilà un beau talent et une inspiration très originale ! C'est dense et on veut comprendre. J'aime beaucoup et j'en redemande.

Écrit par : Rony | 11 septembre 2006

Les commentaires sont fermés.