25 juillet 2006
Absence-Présence, épisode 1
Nouvelle en 6 épisodes, pour les vacances bien méritées, ou pour ceux qui n'ont pas la chance de prendre un peu de large...
L’après-midi avait été consacrée à la lecture. Lecture-refuge. Le fond de mes pensées était trop tumultueux pour y voir clair. La succession des événements depuis ces dernières semaines n’avait dévoilé son importance dans mon esprit que brutalement. La vérité qui en était sortie imperceptiblement était tellement crue qu’elle avait d’abord été camouflée par les divers faux soucis que j’avais l’habitude de me trouver habituellement. Je me levai de ma chaise, me dirigeai vers la cuisine, et me servis un deuxième café. La lumière tamisée qui filtrait par la fenêtre était remplie de gaieté. Gaieté bleue du ciel breton entre deux averses, gaieté chargée de la lumière suave d’un soleil paresseux mais généreux, gaieté nue des arbres d’hiver n’ayant plus de feuillage à offrir aux caresses de la brise. Le noir du liquide fumant se para d’une guirlande ardoisée. Un rayon de soleil avait su se frayer un chemin entre le tronc du hêtre siégeant majestueusement devant l’ouverture et le voilage de coton finement dentelé ornant les vitrages. Hachure blanche sur le noir tissage de l’existence. Cassure éblouissante sur le fond calme apparent des abysses de l’âme. Je me sentais de nouveau envahie par une impression bizarre, prenant tout mon être dans une espèce de ouate transparente. Comme si tout mon corps était sous l’effet d’une substance engourdissante. Sensation étrange, à la fois désagréable par un malaise ressemblant à la peur de l’inconnu, et à la fois enivrante par la léthargie engendrée.
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11 juin 2006
Les oiseaux
LES OISEAUX
La mer scintillait sous l’effet du soleil déclinant. Les deux oiseaux décrivirent un arc de cercle, longeant le rivage de l’île. A cet endroit existait des restes de tôle amoncelées témoins d’une ancienne habitation qui s’était effondrée. Un peu plus loin, on pouvait distinguer un vieil amas de ferrailles qui avait dû faire office d’engin roulant il y a très longtemps. Ils se posèrent sur le rocher le plus proche, scrutant les environs à la recherche de la moindre menace. Puis ils s’approchèrent de l’anfractuosité creusée dans le roc près de l’ancien autocar. Ils se dandinaient curieusement, l’un deux portant un couvre-chef tout percé de trous, ne semblant tenir que grâce à deux appendices latérales ressemblant vaguement à des oreilles. L’autre le suivait, tenant dans son bec un panier rempli de poissons. Sous l’effet des caquètements gutturaux à la melopée curieuse émis par le premier des deux volatiles, probablement le mâle, une flopée de jeunes duveteux sortirent leurs têtes de l’anfractuosité, s’égosillant jusqu’à ce leurs parents satisfassent leurs appétit féroces. Ils s’arrachèrent les restes de poisson autour de l’écran...
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18 mai 2006
Le taxi Thaï
La ville s’étouffe d’elle-même. La chape de plomb écrase humains et animaux. La moiteur s’immisce dans chaque interstice de la peau. Les êtres vivants respirent à travers le crachin de la pollution citadine. Les exhalaisons des égouts et des canaux se mêlent aux parfums des plats exotiques préparés à même la rue. Une foule disparate affairée ou nonchalante, en sarong ou pantalon de ville, tongs ou chaussures de sport-ville, chemisette ou complet-veston se croise, s’échange pièces et billets, mange attablée à des échoppes de fortune, rabat les touristes farangs rendus méfiants par le crépuscule tombant. La pétarade des motos et mobylettes, des tuk-tuks et des bus à échappement noirâtre, s’amalgame à la cacophonie confuse de la rue et du marché de nuit. Dans cette atmosphère baroque et habituelle, stimulant les cinq sens en les mêlant l’un à l’autre pour la rendre particulière à ce lieu et à cette ville, ils ne pouvaient qu’être gagnés par une double contradiction : s’y fondre intimement et pourtant avoir envie de fuir par le premier avion, comprendre et intégrer la culture et pourtant ressentir une infinie étrangeté dans laquelle la moindre volonté d’intégration serait illusoire.
Ils avaient décidé de partir. Lui parce que sa passion l’amenait à explorer d’autres horizons, elle parce que le tiraillement entre attirance et refoulement était devenu trop fort. Elle était arrivée trois mois plus tôt, enfin libérée pour le rejoindre dans ce qu’elle imaginait être un paradis tropical. Lui était là depuis presque deux ans, se mêlant doucement à l’âme du pays tout en restant étranger à sa vie même, tout entier absorbé par ses préoccupations professionnelles. Il parle et écrit la langue vernaculaire maintenant aussi bien que la plupart des natifs de la mégalopole, ressent et apprécie à leur juste valeur les signes, attitudes, gestes, regards, connaît les variations subtiles gustatives des plats locaux et nationaux, défie les pièges guettant chaque étranger aux détours des trottoirs et des venelles. C’est lui qui, subrepticement, la guide dans cet écheveau qu’elle a encore du mal à traduire et interpréter. Elle a malgré tout cette impression de rester maîtresse de ses décisions, et lui sait gré de cette délicatesse. Sa peau à lui est laiteuse immaculée le rendant fort aux yeux de ceux, la majorité, qui voient dans la blancheur de l’occidental la clé de la réussite sociale et individuelle. Son teint à elle est d’une jolie couleur havane claire trahissant des origines hybrides et plurielles. Elle est riche de sensibilités et de générosité, toute en discrétion et finesse et elle se sent rejetée par cette société qui l’attire cependant tellement. Rejetée non pas parce qu’étrangère, mais parce qu’indigne d’être étrangère.
Le taxi est arrêté depuis quelques minutes seulement. Le moteur ahane. Ils se regardent. Se sourient. Elle est belle dans sa candeur moirée. Il est beau dans sa fausse modestie candide. Il sait où il va, du moins il croit savoir. Elle ne sait pas où ils vont. Elle ressent néanmoins intensément que c’est sa force à elle dont il aura besoin bientôt. Ils sont comme sauvageon et sauvageonne à apprivoiser, terriblement indépendants. Les quelques passants qui surprennent furtivement ce moment au travers des vitres du véhicule aux bandes rouges et bleues se recroquevillent un peu plus sur leur course immédiate de l’instant. De son regard à lui sourd une intense volonté, de sa douceur à elle surgit l’immanence. L’instant dure longtemps, suspendu, étalant la transition temporelle dans la continuité de leurs deux êtres. Dans l’extrême volupté du moment se révèle graduellement autre chose. D’abord infime improbabilité. Puis quelque chose d’indéfinissable issu de l’ensemble des sensations touffues et entremêlées depuis leur départ de l’appartement qui leur tenait lieu de résidence. Puis l’évidence même : l’imprévu était là, détournant leur belle détermination et leur force.
Le chauffeur est sorti quelques moments plus tôt, s’excusant de devoir soulager un besoin urgent avant de s’engager sur le boulevard principal qui les mènerait vers l’aéroport. La porte par laquelle il s’est engouffré déverse régulièrement sur le trottoir des individus mâles divers et variés. Le chauffeur ne réapparaît pas. Elle jette un œil vers le compteur du taxi qui continue de tourner. « Zarbi », lui dit elle en souriant. Regardant à son tour le compteur, il répond comme à son habitude par un oui bref et léger, incrédule. Quelques véhicules gênés par le taxi garé dans l’entrée de la station service klaxonnent avant de se faufiler dans la file ralentie par le trafic intense. Il regarde sa montre. Ils n’ont pas vu passer le quart d’heure authentifié par la montée du tarif de la course indiqué du compteur. Que fabrique donc le bonhomme ? Ils ne risquent pas trop encore de rater l’avion, encore une heure avant la fin de l’enregistrement. Mais surtout, il ne leur restera pas assez de liquide pour payer le taxi pour peu que ce satané chauffeur leur réclame le prix affiché. Peut être lui est il arrivé quelque chose à ce chauffeur ? Que veux tu que l’on fasse ? Alerter quelqu’un ?
C’est lui qui prend la décision. Les bagages sont dans le coffre qui ne fermait pas bien. Deux grosses valises, un gros sac, et deux sacs à dos. Tout leur univers matériel tient dans ces trente kilos enfermés sous la tôle. Impossible d’ouvrir le coffre. Il n’avait pas le souvenir qu’il avait été verrouillé. Son calme commence à s’émietter sous l’inquiétude naissante. Il réessaye deux fois, sans succès. Il se rappelle la difficulté qu’ils avaient eue à le refermer quand ils étaient montés dans le taxi. Le chauffeur avait dû sortir pour les aider, et claquer plusieurs fois pour y arriver. Bon, on devrait y arriver, le mécanisme est un peu vieux, tout simplement. Il retourne le mécanisme doucement et appuie, les gonds grincent enfin à la quatrième tentative, révélant leurs bagages. Ils se retrouvent rapidement sur l’embranchement menant au boulevard, non sans s’être retournés plusieurs fois vers le taxi bleu et rouge pour s’enquérir du retour tardif possible de leur chauffeur disparu. Ils préfèrent tourner l’angle du bâtiment et s’éloigner d’une bonne centaine de mètres dans la rue suivante, invisible depuis la station service. Un autre taxi libre ne devrait pas tarder de toute façon à les prendre. On ne reste rarement plus de 2 minutes à attendre dans cette partie de la ville. Comme à son habitude, elle attend docilement qu’il en hèle un et lui indique par la portière arrière gauche leur destination. Il ne bouge pas, les yeux tranquilles fixés sur elle. Il est bien, n’est plus inquiet. Quoiqu’il en soit, ils sont là, tous les deux, et c’est bien. Quand elle s’en aperçoit, les taxis libres défilant mystérieusement devant eux sans s’arrêter, quelques gouttes commencent à tomber. Leurs regards de nouveau se croisent et ne se quittent plus jusqu’à ce que la pluie tropicale drue et intense ne les oblige à s’engouffrer avec leurs 2 valises et leurs sacs dans le véhicule rouge et bleu suivant dont le coffre ferme mal. C’est elle qui indique la destination au chauffeur surpris. Ils retournent à l’appartement. Ils savent maintenant que le contraire était impensable. Le compteur a continué de tourner…
Bankgok, octobre 2005
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