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13 février 2007

La soeur d'Amilcar

Chacun aurait voulu pouvoir ignorer cette attitude inquiétante mais Judex savait que, derrière la volonté de faire démarrer le feu de la bonne ambiance, les regards des uns et des unes ne cessaient de se tourner vers celle qui accaparait de plus en plus leur attention. Avec Rose-Améline, il ne fallait pas compter vouloir refaire le monde. Pour elle, tout était simple, et il n’y avait pas de raison pour que ça ne le soit pas. On était né pour vivre, les réflexions sur l’existence devaient se limiter à ça, et cette façon d’envisager le monde et les hommes lui permettait de ne pas se poser trop de questions, de résoudre nombre de problèmes sans faire intervenir une quelconque métaphysique ou intervention supérieure, ou encore la fatalité qui en abattait tant. Le départ d’Amilcar faisait donc partie pour sa soeur de ces décisions incompréhensibles à partir du moment où il n’y avait aucune raison sensée, c’est à dire inhérente au déroulement de la vie elle-même, à la possibilité de se nourrir, de continuer à avancer sur le chemin paisible du labeur quotidien, en compagnie des siens et de ceux avec qui on partage l’existence. Non, elle n’avait pas compris et ne comprenait toujours pas. Et même si Amilcar lui en avait exposé les vrais motifs, il eût été probable qu’elle fut restée imperméable de la même façon.

Judex la regardait s’affairer entre la cuisine et la table autour de laquelle les différents habitants du village prenaient maintenant place au fur et à mesure de leur arrivée. Il devinait dans le regard que la jeune femme ne voulait pas dévoiler la détermination et la ténacité. Malgré le tournant important qui était en train de se négocier, elle continuait à s’activer comme elle l’avait toujours fait. Les différents plats offrant des couleurs variées aux convives avant de confier à leurs palais les saveurs des légumes frais savamment choisis étaient disposés tout au long de la table. Sous la treille, tomates, concombres, laitues, maïs, tubercules attendaient patiemment que l’on s’empare d’eux pour les déguster en accompagnement de la volaille grillée grâce aux soins d’Amilcar, et qui répandait dans l’atmosphère une odeur à aiguiser tous les appétits.
 
 à suivre.... : Le tempo du kayambe
 
 

13 janvier 2007

Le banquet

Les nombreux invités étaient déjà au rendez-vous. Comme s’ils avaient eu peur de manquer de victuailles. Comme s’ils avaient craint de  ne pas se retrouver  aux premières loges...
 
Les tréteaux avaient été installés sous un chapeau de végétal tressé et la case de Rose-Améline se retrouvait ainsi agrandie de plusieurs mètres carrés. L’espace réservé à l’accueil du repas avait été agencé de telle façon que chacun puisse disposer d’une place assise et d’un bout de planche pour pouvoir déposer une assiette assortie d’un couvert. Ainsi, dans quelques instants, chacun se retrouverait serré contre son voisin ou sa voisine et les échanges prendraient naissance entre les divers mets avec un plaisir qui dissimulerait le manque d’aisance... La décoration était en effet très superficielle et seul un bouquet ramassé à la hâte ornait l’espace central de la table de fortune. Les mines réjouies des convives faisaient vite oublier qu’il aurait été possible de recevoir plus dignement les hôtes du village. L’essentiel était que tout le monde soit présent et que chacun puisse accompagner Amilcar avant  que l’aube suivante ne se lève sur son départ.
Dans ce tableau de visages épanouis, un seul d’entre eux semblait transporter le masque de la nuit. Rose-Améline n’avait pas adressé un seul sourire aux nouveaux arrivants et il était difficile de savoir si sa mine renfrognée signifiait la présence d’une quelconque douleur ou celle d’un agacement. Etait-ce véritablement la cause de ces rides qui semblaient traverser son front à la manière des ruisselets qui saignaient les pentes après les fortes pluies...

 

Suite ...

 

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22 décembre 2006

Les Livres d'Amilcar

    Judex eut soudain l’impression de mieux respirer et, sous la lueur de la torche, il découvrit un espace dans lequel il laissa promener son regard satisfait. Amilcar observait son ami, sachant que la découverte le surprendrait. Judex pouvait maintenant se rendre compte que l’obscurité n’était pas complète : l’oeil s’habituant, il devenait possible de discerner le contenu de la grotte creusée dans le roc. La lumière du jour devait s’engouffrer quelque part dans le fond de la caverne. Il était désormais plus facile de deviner l’origine de la cavité qui n’apparaissait pas naturelle, contrairement aux premières impressions. Quelqu’un avait dû habiter ici il y a longtemps. Des reliquats de peinture et quelques bouts d’anciennes affiches traînaient aux murs. Quelques vieux meubles en rotin, tels qu’on pouvait encore en voir dans les vieilles bâtisses abandonnées des bas, égayaient le vide central de l’antre. Et, tout autour, des caisses, des coffres, des étagères aux portes fermées ou entrouvertes. La pièce était immense, et Judex commençait à s’impatienter de savoir ce qui se cachait dans tout ça. Avec l’assentiment d’Amilcar, il entreprit l’exploration de l’antre, coffre après coffre, portes après portes. L’autre l’observait, amusé. Des livres. Par dizaines, par centaines, par milliers... Un véritable trésor. Des vieux journaux aussi, datant des années 2000 et quelques, rangés soigneusement par dates. Judex passa près d’une heure à découvrir un par un les bouquins, ouvrages, imprimés, fascicules qui lui tombaient sous les yeux. A remuer de telles richesses, à voir les mots, les phrases, les titres se succéder dans si peu d’espace, son coeur battait la chamade, son esprit se sentait prêt à voler, il lui semblait que depuis longtemps il n’avait eu cette sensation de vivre, de communier la moindre de ses sensations avec les pages qu’il tournait. Il se retourna enfin vers son ami.Son regard racontait l’immense plaisir qui l’étreignait. Amilcar rompit le silence - “Je voulais que tu puisses profiter de cet endroit pendant mon absence. Allez, viens.” - Et, se retournant vers le goulet qui les avait amené, il invita Judex à le suivre. Les deux hommes reprirent le chemin qu’ils avaient parcouru dans l’autre sens. Ils se retrouvèrent rapidement à l’entrée du domaine dont ils partageaient désormais l’existence et ils se retournèrent tous les deux vers l’entrée de la caverne, signifiant ainsi qu’ils préféraient leurs errances nocturnes à la trop grande force du soleil. Regardant tous deux vers le fond de la grotte et se frottant les paupières, ils échangèrent un regard complice et ensemble, ils éclatèrent de rire.
Le bruit de leur nervosité retentit contre les parois rocheuses et se perdit tout au fond, quelque part, parmi les vieilles histoires qui, tout doucement, commençaient à se réveiller...

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13 décembre 2006

La grotte d'Amilcar

 Judex fut tiré de sa rêverie entre deux coups de pioche par le sifflement reconnaissable entre tous de son compagnon. Rapidement, il rassembla les dernières branches et racines à l’aide de la fourche, prit une bonne gorgée d’eau, ramassa ses outils, et entreprit de redescendre. Il traversa la route défigurée par de nombreux nids-de-poule qui menait autrefois à Bois-Rouge et que l’on n’empruntait plus guère. Des pierres étaient posées aux endroits les plus creusés afin de permettre aux jambes de faciliter la traversée périlleuse de cette ancienne artère devenue relique et sillonnée de saignées affluant en ruisseaux secs jusqu’à la prochaine pluie. S’engageant dans le goulet prolongeant le chemin de l’autre côté, il se retrouva bientôt dans la clairière jouxtant le regroupement des cases. Amilcar l’attendait comme convenu. Se retournant, celui-ci lança ses courtes jambes à l’assaut d’une sente dont on ne pouvait que difficilement deviner l’existence derrière un embroussaillage peu profond formant un rideau sur le bord est de la clairière, dans la direction de la ravine. Judex se dit que décidément ce petit bout d’homme en avait, de la force et de la vitalité. Il sautillait de caillou en souche, faisant émettre des craquements frétillants de vie et de rythme à chacun de ses pas. Très vite, Judex en oublia les tumultes de son esprit et se mit à suivre le jeune homme d’un pas alerte. Au bout de quelques instants, le sentier se resserra pour ne plus former qu’un goulet dans lequel il devenait de plus en plus difficile de voir quoi que ce soit. L’obscurité devenant de plus en plus grande, Judex ralentit son rythme et cette diminution de la vitesse lui donna l’occasion d’être à l’affût des moindres crissements qu’Amilcar faisait naître sous ses pas vifs. Il en fut presque impressionné et c’est en ralentissant encore qu’il continua sa progression dans le tunnel devenu très étroit.

19 novembre 2006

Terres du passé

 La sueur lui coulait en fontaine dans le creux du dos. Il s’était attaqué au défrichage du carré juste avant le lever du soleil, espérant avoir bien avancé quand ce dernier arriverait à la hauteur du morne. La tâche était ardue pour un homme seul, et il mettrait probablement plusieurs jours à dégager cette partie de terrain plat et rouge comprise entre les bananiers et le manguier. Les goyaviers, bringelliers sauvages, la vigne marron, et autres plantes envahissantes avaient formé leur habituel tissu végétal s’imbriquant jusqu’à hauteur d’homme et enfonçant ses racines dans la terre appauvrie par l’absence chronique d’arbres pendant quelques siècles. Judex s’arrêta, s’appuyant sur le manche de sa pioche. Ses muscles lui faisaient mal. Il sentait l’effet des deux heures de travail qu’il avait dû fournir. Il jeta son regard devant lui sans ne rien voir d’abord que le fonds confus de ses pensées. Il ne savait plus si elles avaient un ordre quelconque. Le bleu des ondes, au-delà du rideau vert, apportait des remous profonds et tendres, indéfinissables, à sa méditation. Depuis longtemps déjà, il était fasciné par le cheminement, ou plutôt le non cheminement habituel de ses propres pensées, qui lui faisaient l’effet de nuages regroupés en masses compactes et homogènes, ou, à l’inverse effilochés et courant, fuyant vent et marées. Dans son esprit alternaient les réminiscences du passé, proche et plus lointain, les préoccupations immédiates engendrées par les nécessités de la vie quotidienne, et les soucis actuels occasionnés par le départ de son ami. Les contorsions métaphysiques que ses neurones avaient l’habitude de faire depuis longtemps passaient par les impressions étranges liées à l’entremêlement des images de ce XXIème siècle qui avait voulu rompre avec son prédécesseur.
L’instant d’avant, il était dans un état de quasi transe, remuant la glèbe encombrée de souches, rhizomes, et stolons, tout son corps ramassé pour cette unique tâche et mettant en léthargie son esprit anesthésié par le travail physique. A peine le labeur arrêté, le voilà qui de nouveau faisait voguer son âme au gré de méandres tortueux, faisait s’entrechoquer des trains de réflexions inattendues ou familières, douces ou saumâtres voire aigres, amenant les images du passé en transparence sur le présent. Et, inévitablement, le vertige de l’avenir lui mordillait le bout du coeur. Les nuages s’étaient formés à l’est et gagnaient le long du littoral. Il se laissa aller à suivre quelques minutes le plus gros d’entre eux, poussant devant lui son ombre, tache de couleur sur le bleu-vert écrasé par le soleil du nord. Un autre, au dessus de lui, lui permit de retirer quelques instants son chapeau et d’éponger les gouttes perlant de son front et de sa nuque. Il aurait certainement du mal à continuer encore longtemps. La chaleur était trop forte déjà, étouffante d’humidité. Seule, une petite brise permettait un minime réconfort, bien trop peu fréquent pour être appréciable. En contrebas, on devinait à peine les quelques cases de Bois-Rouge dont la présence était attestée par la réverbération de quelques tôles. Il avait hâte maintenant de découvrir la grotte au contenu mystérieux dont lui avait parlé Amilcar. Empoignant de nouveau l’outil, il entreprit d’avancer encore un peu dans le défrichage, s’acharnant sur l’entremêlement sauvage dont l’inextricabilité n’était qu’une impression. Son esprit restait occupé. Notamment par les confidences récentes d’Amilcar après sa décision apparemment brutale de quitter le village. Comment celui-ci allait-il pouvoir vivre dans la jungle qu’était devenue la ville? Et pourquoi quitter un endroit où vivaient les seules personnes qu’il connaisse, un endroit où la loi des hommes ne subsistait que dans les indispensables rapports d’entraide, loin de toute velléité de domination ou de gain ? Judex se souvenait trop de ces temps pas si lointains où l’argent était devenu la seule raison d’avancer dans la vie, et la convoitise le seul moteur...
 

10 septembre 2006

Scène de vie

Nota Bene : bien que cette note (épisode) ait été publié(e) en septembre 2006, comme 1er texte pour "Amilcar", ce n'est pas le vrai début, ainsi en a décidé l'auteur (!). Le récit commence à Terres du Passé (cf ci dessous), et le passage présent Scène de vie, que j'aime particulièrement, s'articule en fait entre Mme Arside et L'incendie (cf liens ci dessous)


La pénombre s’immisçait dans l'intimité des carcasses. Le bruit du sac et du ressac contre les galets trahissait la masse liquide de l'océan derrière l'immense terrain vague. Sur ce fond sonore rythmé se superposait la cacophonie ambiante du début de soirée. Les chiens alternaient leurs jappements avec le ronflement des moteurs usés et des échappements troués, avec les voix d’hommes et de femmes, avec les cris d’enfants déguenillés. Une sirène parfois se mettait à déchirer l’atmosphère et les estomacs. Les squelettes métalliques dessinaient leurs silhouettes en ombre chinoise sur le ciel gris noir lézardé par les dernières fusées orangées du soleil couchant. Telle armature prenait l’aspect terrifiant d’un monstre du fond des âges. Monstre qui observait, incrédule, l’amas de constructions qui s’étendaient vers l’est et vers les hauteurs, semblant fuir l’océan menaçant d’où pointaient encore quelques signes d’humanité engloutie. Telle autre offrait son châssis à l’air étouffant, semblant vouloir se relever pour une nouvelle épopée urbaine.     Entre les ossatures de ferraille, peu de signes de vie végétale. Les rares herbes étaient à peine discernables. Pas un arbre, pas un arbuste, un buisson, pas même une quelconque plante grimpante le long d’une de ces carcasses abandonnées. Vision d’apocalypse. Si quelques créatures se disputaient encore le terrain dans ce cimetière-vestige,  il ne pouvait s’agir que de rats ayant établi leur résidence dans cet endroit si propice à leur multiplication, ou d’hommes venant récolter là quelque pièce indispensable au rafistolage de leurs vieux engins. Amilcar contemplait cette non-nature, ce non-sens, reflet de la ville qui n’en conservait que le nom. Tout se résumait-il désormais à des reliquats, signes de temps révolus, à l’image de ces squelettes offrant leur immonde silhouette en témoignage du passé? Il  se dirigeait vers l’extrémité du cimetière de voitures. Quelques embarcations filaient sur la surface liquide, s’empressant de ramener leurs occupants avant la tombée de la nuit tropicale. La voie longeait un ancien bâtiment gris aux multiples trous de fenêtres regardant l’océan tels de multiples yeux nostalgiques et accusateurs. Une inscription soudain l’attira, lisible grâce à la conjonction d’un dernier rayon du soleil couchant et de sa position en enfilade à travers une ouverture du bâtiment. Le mot  le toucha brutalement, magique, enchanteur, d’un charme instantané et irrésistible, évoquant des trésors insoupçonnés de souvenirs, des mines de phrases, de situations, de sentiments. Puis le mot avait disparu, indiscernable dans le fond d’un gris hétérogène virant maintenant au noir. Invisible mais puissant. Toujours aussi puissant. Amilcar s’avança vers le vieux batiment, se risqua à franchir un seuil et des décombres de toiture effondrée, puis un autre, écartant la végétation folle qui prenait possession des lieux. Son esprit résonnait, répercutait par delà les années passées des sensations qui s'emparaient progressivement de tout son être. Au fur et à mesure de son avancement, l’endroit désert se peuplait d’une foule dont le brouhaha retentissait dans l’imagination d’Amilcar, l’enivrant et le portant tout entier dans d’autres lieux et d’autres temps. Puis, traversant, fier, l’immense salle dans laquelle il venait de s’introduire, il atteignit l’estrade encore vaillante dominant le public imaginaire et se hissa sur la scène. Surmontant le trac, il se lança dans une tirade accompagnée de mouvements amples et démonstratifs complétant le verbe de l’acteur. Il donnait l’illusion complète de réel du personnage pourtant créé de toute pièce pour faire rire une assistance friande de dithyrambes sarcastiques. Sa petite taille ajoutait à la persuasion de l’argumentation, qui de farfelue pouvait devenir juste et frappant aux points sensibles, en offrant à la dérision le sérieux de situations intolérables ou scandaleuses. De nouveau, il remplissait le rôle d'un messager dans une société à la recherche d’elle même, face à un public se rendant compte de son propre jeu de rôle face à une démonstration si convaincante. La scène rendait à Amilcar son personnage de bouffon philosophe. Il continua ainsi un long temps, refaisant le monde et ses aberrations, devisant la bêtise de l’humanité, raillant les derniers avortons du progrès, foulant les pseudo-vertiges de la technique, se gaussant de la vitesse des véhicules dernier cri vantés par les publicistes, pourfendant à gorge déployée les soi-disant merveilleuses possibilités de communication interactive offertes à l’homme du XXIème siècle débutant, ridiculisant le concept d’époque merveilleuse qu’il n’était pourtant pas question de remettre en cause dans le vrai théâtre de la vie... Il s’écroula enfin. La salle était vide. Une énorme sensation de solitude l'envahit. Les trous dans le toit laissaient entrevoir des lambeaux de l’immensité étoilée. L’estrade exhalait une odeur de moisissure âpre. Le silence faisait entendre sa revanche sourde. Le choc était profond. Le passé contre le présent, l’incrédulité face à l’évolution de la chose humaine. La ville elle-même était méconnaissable. Surpeuplée et famélique. Alignant des taudis et des abris précaires dans les anciens jardins et parcs. Exhibant avec honte ou fierté des demeures embétonnées tels des coffres-forts surveillés par des miradors perchés aux quatre coins...

Pourtant, Amilcar voulait garder son optimisme. Il trouverait dans tout cela de quoi nourrir quelque espoir, il trouverait...

 

Lire la suite ---> L'incendie

Episode précedent ----> Mme Arside


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