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15 mars 2009

La ville

Cette fois ci les visiteurs n’avaient rencontrés ni parlé à personne. Certains les avaient vu fuir pendant l’incendie. Les discussions allaient bon train à Bras Sec sur les raisons d’un tel acte, et sur les implications d’une telle évolution quant à l’avenir. Ceux de Bras Sec qui avaient l’habitude de se rendre à la ville pour vendre leurs produits au marché forain émettaient leur opinion sur l’état actuel de la société qu’ils observaient là-bas. Les marcheurs-marchands de Bras Sec répétaient à cette occasion la crainte qui les animaient depuis un certain temps déjà. Pendant combien de temps pourraient ils continuer à se rendre dans cette ville devenue de plus en plus dangereuse et invivable à leurs yeux ? En attestaient le nombre croissant de ceux qui la fuyaient, de ceux qui avaient choisis depuis longtemps de reconstruire autre chose après la désertification des campagnes hâtée par la folie des hommes et par les catastrophes naturelles du siècle dernier.
D’autres atténuaient le discours pessimiste, soulignant les incertitudes quant aux instigateurs inconnus du feu. Et puis cet incendie pouvait après tout être naturel étant donnée la conjonction d’un fort vent et d’un soleil puissant quand s'atait déclaré l'incendie. Et puis, tout n'était pas si noir que ça à la ville. La disparition des contacts avec la métropole lointaine qui avait trop à faire avec ses propres problèmes, avait mis en place des communautés de citoyens de mieux en mieux ancrées et développant non seulement l’entraide à l’intérieur de la ville, mais aussi les échanges avec le reste de l’île, notamment l’est, resté moins isolé géographiquement. Des contacts commençaient même à se refaire avec les autres îles de la région par voie de mer, puisque d’avions il n’était plus question. Ces dernières paroles plutôt rassurantes avaient permis de rasséréner quelque peu Rose-Améline qui avait commencé par imaginer son frère Amilcar aux proies des plus infâmes individus, dans un univers fantasmagorique fait plus de monstres faméliques que de créatures accueillantes et dévouées ...

 

L'incendie

23 janvier 2009

L'incendie

Bras Sec était en effervescence. Il faut dire que la nouvelle était de taille, et avait de quoi nourrir les conversations de par les craintes et les incertitudes qu’elle engendrait. Rose-Améline et Judex étaient arrivés avant l’heure du midi, et avaient pu faire assez rapidement les habituels échanges et acquisitions diverses pour les habitants de Bois-Rouge. C’est en grignotant ensuite à la Taverne des Anes, avant de reprendre le chemin du retour, qu’ils avaient appris la raison du feu qu’ils avaient aperçu le matin même de chez Lavergne.
C’était bien d’un village que montaient les fumées. Le feu avait pris dans les broussailles envahissant la pente vers le nord, et s’était avancé vers les cases sans que les habitants ne puissent le stopper. Ils n’avaient pu que fuir et observer, impuissants, la destruction qui s’était étendue à la plupart des cultures entourant l’îlet. Un groupe était monté jusqu’à Bras Sec pour demander de l’aide. Il fallait en effet reconstruire, et surtout survivre, et les villages alentour allaient permettre de subvenir aux besoins de la population du village, dans l’attente de nouvelles récoltes.
La surprise, et la consternation venaient en fait de la probable cause de ce désastre, dont on pouvait difficilement imaginer qu’il fût naturel. Un des habitants avait aperçu de grand matin un groupuscule d’étrangers s’aventurer non loin des cases, sans y prêter plus d’attention, car il était relativement fréquent que les parages soient visités par des jeunes ou moins jeunes aventuriers venant de la ville par la corniche ou la montagne.
Souvent même, les villageois liaient volontiers conversation avec ces gens issus d’un autre monde, monde résidu extrait du passé, de leur passé, dont ils ne voulaient plus. Il leur était agréable d’échanger et de deviser avec ceux qui leur racontaient l’évolution là-bas, leur donnant bonne conscience, et les confortant dans le choix qu’ils faisaient de rester confinés dans les grands espaces, isolés du progrès ou de ce qu’il en restait. Certains des visiteurs restaient même pour plusieurs jours, voire s’installaient dans un des villages, parfaitement intégrés dans ces nouvelles mini sociétés.

 

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12 avril 2008

Vers Bras Sec

Le raidillon s’enfonçait dans une végétation arbustive exubérante. Les pas devaient être pesés, afin de permettre aux marcheurs d’arriver au terme de leur parcours sans obliger aux haltes trop fréquentes. La pente était telle à cet endroit qu’il était difficile de ne pas rester les yeux fixés sur le sol rouge caillouteux du sentier. Les souffles du jeune homme et de la jeune femme commençaient à se faire entendre, bien que demeurant posés et contrôlés. Tous deux étaient endurcis à ce genre d’exercice qui faisait partie de leur vie, sans pouvoir imaginer un seul instant que marcher puisse devenir un acte autre qu’indispensable et prédominant. Ils avaient tous deux sur le dos un sac accroché à la manière des anciens sacs à dos, et sur la tête, protégée d’un petit coussinet de tissu, un panier. Le tout devait représenter un peu plus d’une vingtaine de kilos.
Cela faisait maintenant plus de quatre heures qu’ils avaient quitté Bois-Rouge, alors qu’il faisait encore presque noir et que les coqs n’avaient pas entamé leur premier chant. Seuls les chiens avaient fait retentir leurs incontournables jappements, relayés uniquement par le bruit des alizés dans les branches des eucalyptus surplombant la case de Rose-Améline. La seule halte qu’ils s’étaient accordée avait consisté à déposer quelques légumes frais et des oeufs chez Lavergne. L’expert en mécanique en avait profité pour leur offrir dans des noix évidées un peu d’eau fraîche de la source des calumets, tout en convenant avec Judex d’un rendez vous le surlendemain pour l'achèvement du raccordement et du branchement électrique.

17 mars 2008

Le coffre

Le fauteuil au dossier fait de tiges de rotin tressé, aux formes obsolètes et incongrues, à la couleur impavide et glacée, le ramenait à une existence lointaine, dont il se demandait si elle avait vraiment eu lieu. Il avait pourtant reposé son corps nombre de fois sur ce siège qui n’en était pas moins familier à ses yeux. Il revoyait également avec précision les emplacements successifs de ce coffre en bois de tamarin qui trônait au centre, impérial, ayant l’air de prétendre à faire revivre une époque coloniale, ou du moins issue du colonialisme, déclamant la fierté d’avoir été façonné de main d’homme à l’époque de la confection à la chaîne.
Les panneaux latéraux du coffre étaient ornés de motifs sculptés au ciseau à bois, motifs qu’il avait tant de fois examinés dans tous leurs détails, tentant de percer à travers eux la psychologie ou le message de celui qui les avait tracés avec tant de finesse et d’art. Créatures mi humaines, mi animales, symbolisant des activités ou rituels divers, arbres et végétations aux proportions gigantesques entourant ces scènes, comme s’il fallait rappeler aux hommes leur petitesse face aux choses de la nature, qu’ils ne s’étaient pas empêché de détruire à petit feu, jusqu’à ce qu’elle ne reprenne le dessus par une rébellion faite d'escarmouches de plus en plus efficaces dans un monde à tel point humanifié qu’il s’était deshumanisé.
Philippe Lavergne, comme à chaque fois qu’il avait laissé ses yeux errer sur le théâtre mis en scène par le sculpteur voilà déjà bien longtemps, se sentait happé par un flot de réflexions inspirées par cette représentation naïve, douce et sensuelle, mais aussi menaçante par ses présages. Il était face à ces retables naïfs comme un lecteur prenant pour son compte un texte qui n’appartenait plus à son auteur, et qui en faisait ce qu’il voulait.
Des ouvrages et quelques vieilles coupures reposaient sur le dessus du coffre. En les remarquant, il comprit pourquoi il avait ressenti une impression insolite en entrant dans la grotte...
 

16 février 2008

Traces du monde d'avant...

... Le travail allait être assez aisé, consistant d’abord à masquer les quelques meubles sous des pierres et des galets qu’il devait pouvoir trouver en nombre suffisant à l’intérieur, ensuite à camoufler l’entrée extérieure de la grotte de façon à son franchissement ne soit pas trop aisé.
Il s’arrêta net. Un bruit furtif lui était parvenu pendant qu’il progressait dans sa marche et dans ses réflexions. Impossible de pouvoir définir ce qui avait effleuré ses oreilles. Un frôlement, un crissement, un choc sourd lointain ? Un animal, lézard ou musaraigne, s’enfuyant à son approche. Pourquoi était-il aussi nerveux ? L’impression de violer le domaine privé d’un autre, alors qu’il avait lui-même contribué à son existence. C’était néanmoins effectivement devenu le domaine privé d’Amilcar, et c’était d’autant plus tangible que celui-ci était désormais parti.
Il était maintenant réellement dans la peau d’un intrus, aux intentions peu louables, de vouloir dissimuler une richesse dont pourraient profiter d’autres. En avait-il vraiment le droit ? Mais son devoir était peut-être de détruire ces traces de la civilisation passée, afin de laisser évoluer la communauté sans autres pensées que celles spontanées de la nécessité de vivre dans leur milieu, voire de survivre, toute idée ou concept parasites n’étant plus à redouter. Toutefois, se disait-il, il était probablement mauvais de laisser des hommes ignorants de ce qui peut leur arriver de l’extérieur. L’éventualité d’un événement nouveau extérieur au monde clos du village, apportant de nouveau une intrusion dans ce petit monde, était en effet loin de pouvoir être exclue.
En arrivant dans la grotte, il fut surpris. Non pas que la disposition des éléments composant cet intérieur secret soit différente de celle qu’il connaissait déjà, mais quelque chose d’insolite pourtant était présent, qu’il n’était pas en mesure de définir. Cette impression était si tenace qu’il ne put s’empêcher de faire l’inventaire de chaque objet, de s’en remémorer l’origine et les étapes par lesquelles il était arrivé là...
 

18 janvier 2008

Camouflage

Lavergne passa près des cases vides avec précaution, s’assurant qu’aucun regard indiscret ne l’accompagnait dans sa progression. Il refaisait ce chemin qu’il avait déjà tant parcouru quelques années auparavant. Un brin de nostalgie lui mordait le coeur. il s’arrêta un instant pour s’assurer qu’il était bien seul, qu’Amilcar n’était pas là, dans ses pas, revenu par il ne savait quel miracle. Sa fougue l’accompagnait encore. Il la sentait à ses côtés...
Il reprit sa progression, tout en réfléchissant à la manière de dissimuler cette grotte aux livres qui était dans son esprit la seule responsable de l’éloignement du jeune africain. Les traces du passage encore récent de ce dernier étaient visibles à l’embouchure du sentier qui s’enfonçait dans un apparent embroussaillage extérieur. La vigne marron avait bien progressé à cet endroit et avait effectué d’elle-même un camouflage efficace. La végétation était néanmoins écrasée au devant, pouvant attirer le regard et la curiosité. Lavergne traversa le rideau végétal et se dirigea vers l’entrée dans le roc située quelques mètres plus loin. Il se retrouva bientôt dans le goulet étroit le menant à ce qui était devenu l’antre magique et fantasmatique d’Amilcar.
 

08 septembre 2007

Eveil

Il tomba au milieu de la foule et se réveilla. En sueur. L’odeur de paille flottait dans l’atmosphère lourde du midi. Des bribes de son cauchemar repassait devant ses yeux, lui donnant la chair de poule. Il avait rêvé, mais il se rendait compte maintenant que celui dans lequel il s’était incarné n’était pas lui-même, mais Amilcar. Amilcar dans cette ville inhumaine et menaçante. Amilcar menacé. Son rêve lui avait montré son ami en fâcheuse posture. Pourtant, quand Judex pensait habituellement à lui dans la journée, il ne s’imaginait que des circonstances agréables dans la nouvelle vie que s’était trouvé Amilcar.
Pour la première fois, Judex se rendait compte qu’il avait un peu peur de ce qui pouvait advenir à son compagnon. Et il se dit également qu’il en était probablement ainsi pour Rose-Améline, sans qu’elle ne l’avoue ni ne l’exprime. Oui, il s’était caché jusqu’à présent la possibilité que tout n’était peut-être pas rose dans ce monde qu’avait voulu rejoindre Amilcar. Dans les livres non plus, tout n’était pas toujours au beau fixe. Et les livres dataient d’avant... Peut-être Amilcar le rêveur s’était-il trop fié à eux...
 
 
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reprendre depuis le début : voir Amilcar

22 août 2007

Cauchemar

Sur la place grouillante. Il était ballotté de tous les côtés. Le soleil irradiant une chaleur étouffante se mêlait à la chape des nuages lourds charriés par le vent. Une femme en haillon l’accrochait par la manche, un enfant presque nu courait derrière lui, ânonnant des paroles par onomatopées en espérant recevoir quelque trésor pour survivre. Les hommes tantôt pressaient le pas, n’ayant que faire d’une rue étrangère à eux et contrastant avec leur mise impeccable et intouchable de blancheur, tantôt courbaient le dos sous le poids de l’existence, regardant le bout de leurs pieds pour ne pas avoir à supporter d’autres regards. D’autres hommes, en uniforme ceux-là, étaient plantés aux quatre coins, ils semblaient enracinés, on ne voyait pas leur regard, si toutefois ils en avaient un, ils faisaient baigner les odeurs de l’espace dans des relents menaçants d’inhumanité, ils ne bougeaient pas, mais leur immobilité se tordait, se lovait dans des grimaces immondes et redoutables, donnant aux couleurs de reflets tragiques et horrifiants, le jaune se mêlant à l’ocre, et le vert au rouge, les couleurs montaient, s’enroulaient, s’associaient en spirales recouvrant la place et la foule. Il sentait en lui un grand vide se propager, en même temps que son corps transperçait par tous les pores de sa peau un liquide chaud, qui égouttait comme une substance purulente qu’il fallait évacuer. Il fallait qu’il fuit, qu’il prenne les jambes à son cou...
 
 
épisodes précédents : Le coin Fiction
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05 juillet 2007

Le carreau patates

... Il la regardait s’éloigner maintenant avec surprise. Toute la matinée, Judex et Rose-Améline avaient travaillé à l’arrachage des racines dans le carré jouxtant la bananeraie, ne s’arrêtant que pour se désaltérer, ne s’échangeant que de rares paroles. Leurs yeux s’étaient pourtant croisés fréquemment, en disant plus long que d’éventuels discours. Il était tout à coup surpris de la trouver là, alors que la matinée avait avancé en sa compagnie. Il réalisait le chemin parcouru depuis la veille, sans que rien n’ait été dicté d’une manière ou d’une autre...
Ca s’était passé naturellement, elle l’avait suivi après le départ d’Amilcar, et elle était venue partager sa couche là-haut, sous les étoiles, à l’abri des bambous... Une longue partie de la nuit avait été dépensée en discussions sur le présent, le passé, l’avenir, les hommes, l’homme, la vie, leurs vies, leur vie. Et ils avaient mêlé leurs bouches puis leurs corps, comme si cela avait été inscrit depuis la nuit des temps, se rendant compte sans difficulté qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Le sommeil qu’ils s’étaient permis avait été très court, ce qui ne les avaient pas empêché d’unir leurs efforts dès le matin pour en finir avec le carré où devaient être plantées les patates.
Elle avait maintenant disparu derrière le rideau des acacias qui bordait le chemin du bas, et il reprit le labeur interrompu, espérant bien arriver à déterrer la souche sur laquelle il s’acharnait depuis plus d’un quart d’heure. Il ne pensait plus. Son attention était toute entière fixée sur le sol et la pioche qui commençait à lui meurtrir la paume de la main droite. Entre deux coups, la vision de Rose-Améline se surimposait  et lui arrachait un sourire sur son visage qui pourtant grimaçait la seconde d’avant.
Le nettoyage du champ était maintenant bien avancé. Il ne restait que quelques mètres carré encore encombrés par les restes de défrichage, avant de se retrouver devant les manguiers. Tout en faisant craquer la racine qui commençait à céder sous les coups répétés, il se rendait compte que son esprit restait vide, incapable de formuler la moindre pensée soutenue, la moindre réflexion construite. Il le laissait errer dans des nimbes immatérielles, lui faisant entrevoir ce que pouvait être le bonheur absolu. Il voguait dans un nirvana fait de lumière douce, de sons feutrés, et de sensations chatoyantes, puis, l’instant d’après, sursautait au choc sourd de l’outil heurtant un galet, surpris de la violence qui pourtant était le fruit de sa propre action...
 

20 juin 2007

Sur le chemin..

Ses méditations le ramenaient maintenant au-delà de sa propre existence, à la folie de l’humanité qui n’avait jamais compris qu’elle était une partie intégrée à la nature et issue d’elle, et non une conquérante devant livrer un combat avec elle pour survivre. Il pensait à Amilcar qui démontrait de nouveau le fond de l’homme, jamais contenté par la simplicité, recherchant toujours plus. Lavergne espérait seulement que le jeune homme reviendrait sur des conceptions plus saines de l’existence, après l’exploration de toutes les tentations auxquelles il avait cédé. Il se remémorait les conditions dans lesquelles il avait connu l’africain et sa soeur, dans quel état ils avaient erré. Lavergne sentit s’immiscer en lui le mordillement habituel de l’évocation du passé tellement imbriqué à celui de ces deux là.

Les années avaient passé, reléguant le souvenir de la souffrance à la marge de la réalité de la vie, et masquant petit à petit le bonheur d’une existence paisible derrière des rêves chimériques occasionnés par des images issues d’un autre monde, qui d’ailleurs n’existait probablement plus tel quel.

... suite ...

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... début du récit... 

 

16 mai 2007

L'île

Son pas était régulier et posé, accompagnant le rythme des réflexions. Il avait décidé de remonter par le chemin de la Ravine à malheur, celle que les habitants alentour avait longtemps évitée du fait des légendes mystérieuses reproduites et embellies au fil des générations. Le bord du chemin était tapissé de goyaviers touffus et étouffant les autres espèces végétales. A cette époque ils ne portaient aucun fruit, n’offrant au marcheur que le spectacle de leurs feuilles lisses, fondant les parois du chemin en une couleur verte uniforme, où le regard cherchait désespérément d’autres teintes auxquelles s’accrocher. Lavergne échafaudait les plans de son projet, sur lequel il passait le plus clair de son temps et de ses nuits depuis maintenant plusieurs mois. Les moindres détails devaient être passés en revue, car il n’était pas question que survint un quelconque incident.
Au détour de la Pointe Cabri, son regard resta accroché sur le découpage des reliefs. Le panorama s’étendait de la mer jusqu’aux hauteurs du nord-ouest en toile de fond, exposant au premier plan la lente descente vers les plaines de l’ouest, tailladée par les échancrures profondes creusées au fil des siècles par les écoulements torrentiels impétueux et imprévisibles de l’été tropical. Il ne s’était jamais lassé de la vue exhibée en ce lieu. L’étendue liquide à gauche prenait selon les moments les teintes les plus diverses, ajoutant toujours au tableau une note originale tendant à persuader le spectateur qu’il était que jamais il n’avait encore pu bénéficier de l’oeuvre qu’il s’offrirait en parcourant de nouveau ce sentier.
Il contemplait la mer qui isolait l’île de toutes parts, cet océan qui n’offrait que peu de ressources aux hommes de l’île, qui était susceptible des plus grands courroux, comme en témoignaient les espaces désormais immergés des bas, agrandissant l’ancienne baie qu’il avait connu de nombreuses années auparavant. Tout juste pouvait-on deviner maintenant quelques anciennes routes émergeant de l’écume pour s’attaquer aux pentes menant vers les hauteurs autrefois surpeuplées mais nues. Nues car pelées de toute végétation, incapable de se développer sur cette terre appauvrie par des années d’exploitation humaine irréfléchie et avide. Quelques îlots arbustifs de feuillus, de rares agglomérats d’arbres esquissaient une reconquête de la terre,  qui allait demander un temps bien supérieur à celui qu’il avait fallu à l’homme pour écorcher vif ce rocher volcanique perdu.
 
 
 

26 avril 2007

Jardin secret

Les nuages de la fin de matinée commençaient à recouvrir les cimes, et le vieux se dirigea, muni du rouleau de gros câble électrique vers les habitations de Bois-Rouge en contrebas. Il abandonna le rouleau dans un fossé au dessus de la case de Rose-Améline, et entra. Dehors traînaient encore quelques restes de la veille. L’intérieur exhalait le malaise, l’abandon, malgré la propreté, le calme, la paix qui se dégageait de la pièce petite et claire au milieu de laquelle une table en bois blanc semblait chuchoter au visiteur impromptu des paroles de bienvenue et d’accueil. La jeune femme avait dû s’éloigner pour chercher de l’eau à la source ou pour aller se procurer quelques légumes pour le repas de midi. Le silence remplissait l’atmosphère, parfois interrompu par des aboiements issus des autres cases, ou par un souffle léger s’engouffrant entre les feuilles des quelques arbres entourant la case. Lavergne se laissait gagner par cette paix, lui qui pourtant baignait déjà habituellement dans la solitude. Il alla se servir dans le baquet de réserve d’eau de quoi étancher sa soif après les heures de travail fournies dans la matinée. Au fond de la pièce, il entrevoyait  le réduit qui avait été le domaine privé de celui qu’il aimait appeler le rêveur, en opposition à sa soeur, dont le tempérament ne supportait au contraire que le terre à terre. Il savait que ce tempérament n’était qu’une apparence et que Rose-Améline gardait quelque part dans le fond de son coeur un jardin secret fait d’imaginaire et d’idéal. La partie de la pièce qu’il apercevait par la porte restée entrouverte dégageait une sensation de froid intense, alors même que la température extérieure commençait à devenir étouffante. Il parcourut les quelques mètres qui le séparaient de l’alcôve et ferma la porte, puis s’installa dans l’espèce de canapé confectionné avec les moyens du bord qui trônait sur le mur est de la salle principale, regardant vers l’immensité ouverte au delà de la seule ouverture lumineuse percée dans la tôle...
 
 
 
reprendre depuis le début : voir Le coin Fiction, ou Amilcar 

14 avril 2007

Lavergne

Philippe Lavergne savait bien qu’Amilcar irait jusqu’au bout de sa décision, même si ce n’était pas si simple de casser les uniques liens humains qu’il avait réussi à trouver jusqu’à présent. Le jeune homme allait devoir se débrouiller dans la faune et la concentration citadine. Lavergne n’avait pas réussi à extirper Amilcar de sa naïveté vis à vis du monde tel qu’il était devenu et qu’il ne connaissait plus qu’au travers de ses souvenirs, des écrits qu’il interprétait à sa façon, et des récits des rares qui en revenaient ou en venaient. Mais s’opposer à cette décision était inutile, et Amilcar devait de lui-même faire son propre chemin, c’est du moins ce qu’avait pensé Lavergne, qui maintenant s’affairait à la mise en place du dernier panneau, dont le branchement permettrait aux cases de la communauté d’être éclairées le soir.
Se procurer, avec l’aide de Judex et des autres habitants restés au village, ces panneaux solaires et les accumulateurs n’avait pas été facile. Il avait fallu sillonner pendant des jours les campagnes et les espaces presque déserts, à la recherche des anciennes maisons cossues dotées de ce type de matériel, qu’il fallait encore tester et ramener jusqu’au village. Tout en finissant les travaux sur les panneaux et les branchements, il se disait maintenant que ça avait été là aussi probablement une erreur de vouloir ramener un peu de confort aux habitants du village, qui, dans le dénuement nouveau de ces dernières années, avaient malgré tout retrouvé une joie de vivre et un bonheur simple oubliés depuis longtemps. Oui, le départ d’Amilcar constituait le premier incident depuis le début de cette nouvelle vie isolée du monde. Après tout, Lavergne ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même si maintenant Amilcar partait. Lavergne se demandait s’il avait bien fait de soutenir Amilcar dans le projet de réaménager cette grotte et de la remplir des ouvrages qu’il avait pu lui-même préserver. Maintenant qu’ Amilcar partait, il lui fallait s’occuper de la grotte, en protéger mieux l’accès, de façon à éviter qu’elle ne devienne une tentation pour d’autres...

Suite ...

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10 mars 2007

Quand le jour se lèverait...

Le repas se terminait. Quelques-uns des villageois se levèrent pour aller chercher leurs instruments rangés dans un  coin de la varangue de tôle, et s’installèrent face à leurs amis...
 
Le Kayambe émietta le tempo que les bongo faisaient naître, la mandoline enroba la mélodie offerte par la flûte, des voix s’élevèrent dans le crépuscule naissant pour chanter l’harmonie des hommes et de la nature, pour raviver la mémoire des hommes et des femmes. Quelques-unes spontanément se laissèrent entraîner par le rythme et firent onduler leur corps à l’unisson des musiciens, dédiant cette joie de l’instant à l’ami en partance. Rose-Améline était là aussi, les saccades de son corps exprimant les consonances harmoniques de son existence. Judex s’était levé pour allumer un feu de bois de cryptomérias, qui maintenant crépitait et envoyait ses reflets orangés sur les visages des danseuses.
 
Amilcar se tenait en retrait, le regard perdu dans ce spectacle d’un soir offert par ses amis... Plus il évoluait parmi eux, plus il avait envie de partir. Fuir cette campagne devenue déserte pour déambuler parmi les agitations et les bruits. Sortir de cette brume qui enveloppait trop souvent les hauteurs de l’île et retrouver la chaleur des espaces côtiers. Oublier pendant quelques temps ces hommes et ces femmes qui ne lui réservaient plus aucune surprise. Marcher vers les autres pour mieux se découvrir lui-même. Déjà, il les regardait tous avec un œil distant.
 
Pendant ce temps, les préoccupations des convives consistaient à rassasier leurs estomacs de nourriture et à apaiser leurs esprits par des échanges à propos de la météo des derniers jours. Il avait bien fait de prendre cette décision. Il n’aurait pas accepté de survivre plus longtemps dans cet univers dont il avait maintenant exploré les moindres recoins. Même sa caverne ne lui offrait plus de satisfactions. Il avait déjà lu tous les livres, il avait relu les meilleurs et il n’avait trouvé aucun moyen de s’en procurer d’autres. Assis sur un coin de table, il observait les invités en se disant qu’il les avait assez vus. Dès qu’il le pourrait, il emprunterait la route de l’avenir sans même prendre la peine de se retourner. Ce soir, il fixait dans sa mémoire les dernières images de l’espace dans lequel il avait déjà développé la moitié de son existence.

Ce soir, avant de les quitter, il allait tous les remercier d’être venus jouer, danser et manger sous ses yeux. Il allait, à son tour, et pour la dernière fois leur faire un numéro tel qu’il en était capable, époustouflant par sa spontanéité et étonnant par son talent.

Il leur offrirait encore une fois le son de sa voix et ses intonations changeantes. Puis, quand le calme serait revenu, il se retirerait dans sa pièce de vieux garçon, il emporterait les quelques objets dont il était le propriétaire et, sans même embrasser sa sœur, il partirait. Quand le jour se lèverait, Amilcar serait déjà loin...
 
 

25 février 2007

Le tempo du Kayambe

Clélia avait ramené des rougails divers, et Robert et Josépha s’étaient chargés de la confection de breuvages. Les discussions allaient déjà bon train. Chacun y allait de son refrain sur les divers événements récents survenus alentour, tout en sachant qu’ils étaient mineurs en comparaison de ce qui les amenait ce soir. Quand Amilcar apporta les volatiles empalés sur une grosse branche, chacun se tut. Bernard et Adélaïde s’empressèrent pour lui apporter de l’aide à la découpe, et Sandrine s’en alla rejoindre en silence Rose-Améline pour servir les différents invités.
 
Les écuelles furent bientôt généreusement garnies, permettant aux conversations de reprendre leur cours interrompu par l’arrivée des nouvelles odeurs alléchantes. Rose-Améline vint s’installer à côté de Judex, et commença elle aussi le repas, tout en jetant de brefs regards autour d’elle afin de s’assurer que personne ne manquait de rien. Elle ne disait mot, mais il savait ce qu’elle aurait pu exprimer si elle n’avait pensé que c’était inutile. Enjoindre encore une fois à Amilcar de renoncer à cette décision bizarre et apparemment sans motif. Dire sa tristesse de se voir séparer de celui avec lequel elle avait partagé les pires et les meilleurs moments.